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La Rue Neuve à Paris, un projet fou pour faire revivre la capitale

citations de l'article : http://www.lexpress.fr/styles/saveurs/la-jeune-rue-le-projet-gastronomique-et-design-qui-va-changer-paris_1503184.html

Ils s'apprêtent à transformer un quartier entier de Paris en marché arty, gastronomique et écologique. Le fondateur de la Jeune Rue, Cédric Naudon, a choisi L'Express Styles pour dévoiler son projet pharaonique. 

 


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Autour d'un buffet dressé en plein champ, débordant de produits bio et locaux, le successeur de Delphine Batho, en jean et chaussures de randonnée, cause infatigablement loi sur la biodiversité et gastronomie durable. Cédric Naudon n'en perd pas une miette. Il boit même du petit-lait quand le ministre et ex-député (PS) du Gers se tourne vers L'Express Styles: "Il en faut, des entrepreneurs comme lui, pour faire bouger les lignes! S'il a vraiment l'intention de construire une passerelle entre l'agriculture vertueuse et la capitale, je serai là pour soutenir son projet..." Le projet en question, tout le monde en parle beaucoup mais personne n'en sait grand-chose.  

Je suis éditeur de lieux à vivre et à manger, et j'ai fait un rêve humaniste: mieux nourrir les citadins, au juste prix. 

Dans les dîners en ville, on a tout entendu: "Un nouveau Disneyland bobo!" ou bien "Il n'y aurait pas encore un Qatarien derrière?". Le 13 janvier, une conférence de presse a tenté de clarifier les choses. Derrière son pupitre, l'homme d'affaires déclare, avec l'accent cocardier, devant un parterre de 150 journalistes: "Je suis éditeur de lieux à vivre et à manger, et j'ai fait un rêve humaniste: mieux nourrir les citadins, au juste prix, parce que j'aime Paris!" Et quand Cédric Naudon aime, il ne compte pas. En guise de cadeau de mariage, il s'apprête à offrir à la capitale rien de moins qu'un quartier entièrement métamorphosé!  

36 adresses sur trois rues et un cinéma

Au coeur du IIIe arrondissement, entre la place de la République et le Conservatoire national des arts et métiers, il a fait main basse sur 36 boutiques dans les rues du Vertbois, Volta et Notre-Dame-de-Nazareth, qu'il s'active à transformer en poissonnerie, épicerie, fromagerie, boucherie, pâtisserie, glacier -tous les artisanats de bouche sont représentés-, bistrots, bar à huîtres, marché couvert, quincaillerie... Autant d'adresses approvisionnées en denrées exceptionnelles, naturelles et durables en provenance de fermes modèles partout en France. Avec un credo: pas d'intermédiaires pour des prix justes.  

Ce nouveau "ventre de Paris", dont les premières boutiques ouvriront en mai, accueillera même d'ici à quelques mois un cinéma en partenariat avec Nathanaël et Elisha Karmitz, dirigeants de MK2, une galerie d'art et un concept store piloté par le magazine britannique de design Wallpaper! Le nom de cet îlot? La Jeune Rue. Une expression tendrement poétique, empruntée à Guillaume Apollinaire, pour désigner un impressionnant "hub" arty et gastronomique, genre de mini-Rungis écoresponsable au carrefour du haut Marais, du Sentier et du canal Saint-Martin. 

Casting international pour la Jeune Rue

Plus qu'une nouvelle zone commerciale, c'est un geste esthétique. Son fondateur s'est offert les services des meilleurs architectes et designers du moment. Le casting est international: les Français José Lévy et Vincent Darré; les Italiens Andrea Branzi, Michele De Lucchi et Paola Navone; les Espagnols Patricia Urquiola et Jaime Hayon; les Britanniques Tom Dixon et Jasper Morrison; le studio japonais Nendo; l'Allemand Ingo Maurer; les Brésiliens Campana... Nulle part dans le monde tant de créateurs avaient été réunis dans un tel périmètre! "Je n'ai jamais vu, même à Londres, un projet si excitant. Paris bouge plus que jamais!", se réjouit le designer britannique Tom Dixon. 

Comment une idée si folle a pu naître dans la tête de ce dandy fortuné? "Rien n'était prémédité, assure-t-il. J'ai eu un coup de foudre pour un local situé au 40-42, rue du Vertbois, où je voulais créer une trattoria. Puis j'ai eu l'opportunité d'acheter en juillet 2012 trois autres emplacements quelques numéros plus loin... J'ai eu alors l'idée d'ouvrir une boucherie, une fromagerie et d'autres commerces de bouche, puis de confier la conception de chaque lieu à un designer différent." Pour ses quatre premières affaires, il adresse le même jour une proposition par e-mail à quatre pointures internationales: Patricia Urquiola, Michel De Lucchi et Paola Navone, les frères Campana. Quelques heures plus tard, quatre réponses positives. "Cela a été un formidable encouragement pour continuer!"  

Six mois passent, et il rachète à huit propriétaires différents plus d'une trentaine de boutiques dans le quartier et recruté autant de créateurs! Seule une adresse ose lui résister: le bistrot l'Ami Louis, un mythe parigot connu dans le monde entier. "On finira par l'avoir!" se console-t-il.  

Ouvertures prévues au printemps

Dès le printemps, les gourmets parisiens auront trois superbes échoppes à se mettre sous la dent: au 11, rue du Vertbois, Medle, une fromagerie signée par le Catalan Eugeni Quitllet, habillée de marbre blanc, équipée d'un meuble en bois de 6 mètres de longueur et déclinant les meilleures pâtes au lait cru; au 13, Gopang, un spot de street food coréenne, imaginé par Paola Navone comme un précieux écrin en céramique blanche et roche de lave noire avec une grande table d'hôte face aux cuisines; au 50, rue Volta, l'Ecorcheur, une boucherie-steakhouse contemporaine conçue par Michele De Lucchi, où brillera le haut du pavé des viandes françaises... 

Ce n'est pas tous les jours qu'on voit passer un projet aussi ambitieux et visionnaire! 

Question budget, le joueur de Monopoly n'est pas du genre à s'épancher... Son enveloppe globale avoisinerait les 30 millions d'euros: 35 % de la somme sur ses fonds personnels et le reste réparti entre trois banques. Egalement de la partie, la Banque publique d'investissement (BPI), qui apporte sa caution financière au montage et prend même des parts dans le restaurant italien. Pedro Novo, directeur de la BPI Ile-de-France: "Ce n'est pas tous les jours qu'on voit passer un projet aussi ambitieux et visionnaire, porté par un homme qui est prêt à déplacer des montagnes!" 

Cédric Naudon, Gatsby des temps modernes

L'homme en question n'en est pas à son premier sommet. Il est même, dans la catégorie business, un alpiniste chevronné. Pourtant, aucune trace de ses exploits sur Google. Il n'a répondu jusqu'à maintenant à aucune interview. Dans un article de janvier 2013, le Financial Times le surnommait même "Mister X" tant il aime entretenir le mystère sur sa carrière flamboyante.  

Dans les années 1990, il fait fortune avec sa femme aux Etats-Unis en créant une cinquantaine de concept stores autour du design et de l'art de vivre. De retour à Paris, en 2003, il monte pendant plusieurs années des opérations immobilières pour le compte de Länder allemands, sur lesquelles il touche de très juteuses commissions. "J'ai gagné beaucoup d'argent, mais je n'étais pas heureux, déclare celui qui, à 42 ans, est toujours à la tête d'une société de finance basée à Strasbourg. La seule façon de redonner un sens à ma vie est de renouer avec ce que j'ai toujours aimé plus que tout: le beau et le bon." 

Le beau, ce Gatsby des temps modernes en veut dans toutes ses adresses et le porte sur lui: montre Rolex, costume trois pièces Yves Saint Laurent, manteau en cachemire Loro Piana, sans oublier ce gimmick vestimentaire, l'écharpe en soie, dont il possède une collection invraisemblable et qui ajoute une touche de folie à sa silhouette de nabab gominé. Quant au bon, il l'a toujours traqué dans son assiette. Jusqu'à l'obsession. Issu d'une riche famille italo-marocaine immigrée à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) dans les années 1970, il est nourri aux pâtes, aux boulettes de merlan et au calzone de sa mère, et prend goût aux restaurants étoilés avec son père. "A 14 ans, je préparais un cochon de lait rôti et un risotto de truffe pour le réveillon familial; à 16 ans, je suis soufflé par la crème de chou-fleur en gelée de caviar de Joël Robuchon au Jamin; à 17 ans, j'ai une révélation devant les cromesquis de Marc Meneau à Saint-Père [Yonne]..." 

L'homme derrière le Sergent recruteur

Le gourmet enregistre tout ce qu'il mange, aiguise ses papilles, boycotte McDonald's, prend un peu de poids au fil des années et réalise enfin son rêve, né d'une promesse faite à sa mère: ouvrir un restaurant. En 2012, il s'empare du Sergent recruteur, une vieille taverne à touristes de l'île Saint-Louis, à Paris. "Ce n'est ni le bon quartier ni la bonne clientèle pour faire du gastronomique!" l'avertissent ses amis dans la profession.  

Qu'à cela ne tienne: il le rhabille d'un chic costume médiévalo-contemporain griffé Jaime Hayon, la nouvelle star du design catalan. Et l'escorte d'un petit génie des fourneaux débauché à Londres, Antonin Bonnet, un "enfant" de Michel Bras. Résultat: une étoile au Michelin l'année d'après et un carnet de réservations en surchauffe. "Cédric m'offre la chance de travailler des matières premières très haut de gamme qu'on ne trouve dans aucun autre établissement à Paris, comme la vache tigre de Corse ou l'agneau manech du Pays basque, confie le chef quadragénaire. C'est un gentil fou, son amour du produit bon, sain et juste est sans limites!" 

Fort de sa réputation, son Sergent recruteur est devenu à la fois la vitrine et le laboratoire de la Jeune Rue: il forme actuellement les futurs cuisiniers de la trattoria et du Club japonais de la rue du Vertbois. On apprend même au hasard de la conversation qu'un Petit Sergent, version bistrot de la table gastronomique, sera inauguré au 42, rue Saint-Louis-en-l'Ile, avant l'été... 

Un globe-trotteur intraitable

"Il est impossible à suivre, il a toujours un coup d'avance! témoigne Jacques Dereux, conseiller gastronomique au carnet d'adresses étoffé. C'est un affectif. Il est poli, généreux et a besoin de se sentir soutenu et aimé par sa 'famille', comme il appelle ses proches collaborateurs. Mais dès qu'il s'agit de faire des choix, il est intraitable et ne laisse rien au hasard!" Jusqu'à sauter dans un avion pour São Paulo, afin de régler quelques détails sur le projet de restaurant de poissons des frères Campana, filer à Kyoto pour rencontrer un ébéniste japonais ou faire un saut de puce dans les Abruzzes, juste histoire de vérifier si le chef italien Niko Romito vaut bien trois étoiles dans son restaurant Reale. Au risque d'alourdir son bilan carbone. 

Les destinations de ce voyageur au long cours se nomment aussi Auch, Hasparren, Porticcio, Camembert... Bref, la France profonde! "C'est ici que se cachent tous les talents qui vont insuffler de l'énergie à la Jeune Rue, s'enthousiasme Cédric Naudon. Quand je vais dans un restaurant gastronomique, j'en ai assez de trouver sur la carte 'cochon ibérique', 'boeuf black Angus des Etats-Unis' et 'cerf d'Ecosse'! Malgré les dégâts de l'agriculture intensive, il y a bien plus de producteurs qu'on ne le pense qui travaillent intelligemment, mais ils sont trop isolés. Tout l'enjeu est d'offrir une caisse de résonance citadine à des pépites fabriquées dans le respect de l'environnement et de susciter ainsi d'autres vocations." 

Des vaches nourries au cidre en Normandie, des cochons Kintoa élevés en semi-liberté au Pays basque, un miel de maquis de l'île de Beauté... Depuis deux ans, dans les pas de l'ancien chef étoilé Arnaud Daguin, militant de la gastronomie durable, l'homme d'affaires arpente l'Hexagone presque toutes les semaines pour pister les meilleurs savoirfaire traditionnels. Et si ses chaussures Berluti s'enlisent parfois dans la boue, il patauge rarement quand il s'entretient avec Alain Canet, pape de l'agroforesterie dans le Gers (un mode de culture qui consiste à réimplanter l'arbre au coeur des exploitations); Jacques Abbatucci, éleveur de vaches tigres et figure de l'agriculture bio en Corse; ou Roland Feuillas, paysan boulanger de Cucugnan (Aude), spécialiste des variétés anciennes de blé... Autant de sentinelles du terroir embarquées dans l'aventure pour essaimer à leur tour d'autres initiatives. 

On doit faire comprendre aux consommateurs qu'on peut sauver la planète en mangeant! 

"A leur contact, on a gagné dix ans dans le sourcing de nos produits!" lance celui qui n'hésite pas non plus à mettre la main à la poche pour soutenir des filières écoresponsables. Il vient de monter un partenariat avec la ferme du Bec-Hellouin, dans l'Eure, un agrosystème unique en France pour les fruits et les légumes ; il "accompagne" la création d'une exploitation de 2 000 hectares près de Fontainebleau (Seine-et-Marne) pour planter des céréales destinées à façonner un pain 100 % naturel; il est même en négociation pour acheter l'exploitation de Bénédicte et Michel Bachès, l'un des plus beaux vergers d'agrumes du monde, près de Perpignan (Pyrénées-Orientales). 

Une fondation et un label à venir

"Notre agriculture a touché le fond, mais elle est en train de remonter, observe Arnaud Daguin. Partout en France, les bonnes volontés se réveillent. Il y a une prise de conscience, mais elle est éparpillée. On doit faire comprendre aux consommateurs qu'on peut sauver la planète en mangeant!" Le cuisinier et activiste écolo travaille d'ailleurs pour 2015 à la création d'une fondation pour porter les valeurs de la Jeune Rue. Mieux, il négocie avec l'organisme de certification Ecocert l'élaboration d'un nouveau label. "Quand vous achetez un légume bio, il peut être cultivé à l'autre bout du monde, en mode intensif et dans des conditions sociales précaires. On a imaginé un nouvel indicateur, baptisé 'Echelle de riches terres', qui permettra d'évaluer la qualité de nos productions en fonction de leur impact sur le sol, leur bilan carbone, leurs conditions économiques et sociales..." 

Reste cette question que tout le monde se pose, y compris parmi les quelque 100 collaborateurs du gourmet millionnaire qui se démènent entre leurs bureaux de la place Vendôme et ceux du Marais: face à l'ampleur vertigineuse de cette douce utopie reliant la campagne et la ville, Cédric Naudon peut-il trébucher? "J'ai été bouleversé par le sort d'une éleveuse de brebis d'une cinquantaine d'années que j'ai rencontrée dans le Gers: elle fait un fromage bio exceptionnel, mais elle est découragée de gagner 3 francs 6 sous en se levant tous les jours à 6 heures du matin. Si j'arrive à valoriser ces paysans, en leur achetant leur production au juste prix et en leur offrant la visibilité de la Jeune Rue, le pari sera gagné! Ensuite, commercialement, dans une ville comme Paris, le succès sera forcément au rendez-vous!"  

Le bienfaiteur nanti ne doute décidément pas: sa première artère gourmande n'a pas encore levé le rideau qu'il nous emmène sur un boulevard chic de la Rive gauche. Derrière une porte cochère, le monde du silence: des immeubles vides, des cours immenses, des entrepôts à l'abandon... 10.000 mètres carrés au total, qu'il est sur le point de rafler avec deux associés pour un montant estimé au double de celui du quartier du Vertbois. "C'est ici que va se situer ma deuxième Jeune Rue!" L'iPhone de Cédric Naudon n'a pas fini de vibrer...  

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